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30.10.2023Oxana Louisa Marek: des procès staliniens aux joyeux livres pour enfants

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Poétesse, auteure, d’origine ukrainienne suisse/genevoise, cette intellectuelle libre et pétillante est résidente permanente de Crans-Montana depuis deux ans maintenant. Quatre-vingts ans cette année (elle en fait vingt de moins), Oxana Louisa Marek nous parle de ses souvenirs et de son amour du Haut-Plateau, qu’elle qualifie de paradis sur terre.

«Bip… bip… C2 le robot débarque pour venir en aide aux oiseaux qu’il rencontre. Avec ses multiples connaissances, il assiste un couple d’hirondelles à se préparer pour la migration vers l’Afrique, une mésange à nourrir ses oisillons, Madame Moineau à perdre du poids ou encore un petit hibou à créer un NFT (Ndlr : jeton non fongible, au contraire des cryptomonnaies). Mais malgré son grand savoir, le robot pourrait bien avoir besoin de ses amis à plumes pour résoudre certains problèmes…» Voilà le pitch du 8e volume signé Oxana Louisa Marek dans la collection «Mamie raconte», aux éditions Jets d’Encre. Un petit bijou dû au talent de cette auteure très prisée des enfants pour son humour et sa fantaisie.

C2 prend la suite d’une belle brochette de gentils héros: Madame Électricité, Madame Bolet, Monsieur Léonard (Gianadda pour les intimes), Monsieur Cerveau, Monsieur Cou, Hortense l’abeille, Caruso le bourdon, la mouche Bzie, Ninille la chenille, Soussou la souris ou encore Xavier l’écolier. Et tant d’autres qui nous font rire et aident à comprendre un monde toujours plus complexe.


Beauté et tranquillité au cœur de Montana

Oxana et son mari Alex se sont installés à l’année, route de Monte Sano, dans un immeuble tranquille au cœur de Montana. «Pendant 25 ou 30 ans, on avait un petit studio, puis on a appris qu’un appartement plus grand était disponible à la vente dans notre immeuble. Il a fallu tout rénover, mais ce fut une occasion en or de vivre dans un cadre qui allie beauté et tranquillité, parmi des gens chaleureux. Ici à Montana, tout le monde se salue, et croyez-moi, c’est rare aujourd’hui.»


Que de cultures…

Et l’auteure en a vu des paysages! Slovaquie, Tchéquie, Canada, États-Unis, l’Autriche et j’en passe. Elle est du reste polyglotte émérite: «Maman était genevoise, médecin dentiste, papa médecin phtisiologue/généraliste ukrainien. Alors, à la maison, on parlait le français la journée, le slovaque à l’école, et lorsque mon père rentrait du travail, l’ukrainien. Par ailleurs, j’ai fait mon Master en langues et littératures en anglais, à l’université McGill de Montréal. J’y ai aussi appris l’espagnol.»


Parler français? Preuve d’intelligence avec l’ennemi!

Son ouvrage le plus surprenant, intitulé Je hais le communisme et je n’aime pas le capitalisme, donne une idée de son vécu familial. «On a connu le pire du communisme avant la chute du Mur de Berlin, raconte Oxana. Mon père, qui était aussi poète (Vent d’automne, Boulevard de mon cœur, Mon Odyssée), a eu droit en effet aux procès staliniens où l’on est présumé coupable avant même le début de l’instruction. Le film L’Aveu de Costa-Gavras avec Yves Montand et Simone Signoret retrace exactement le vécu de notre famille. Moi-même, jeune femme, travaillant à la télévision slovaque à Bratislava, j’ai été convoquée durant une année par le Parti communiste et j’ai dû faire face aux fameux interrogatoires croisés où l’on était bombardé de questions. Ils n’attendaient même pas les réponses. Ça ne comptait pas, à l’évidence. Pour eux, une origine suisse me reliait avec l’ennemi de classe. Et le fait de parler français était une preuve à charge d’intelligence avec l’ennemi.»


Fausses religieuses et procès staliniens

Et de poursuivre, émue: «Je me suis écroulée psychiquement et physiquement et j’ai quitté mon poste. Ils étaient prêts à tout pour entrer dans la vie des gens: je me souviens (au début des procès staliniens) de fausses religieuses qui nous avaient questionnés mon petit frère et moi de manière habile pour nous tirer les vers du nez, ce qui a donné au tribunal "les enfants ont dit ceci ou cela"… Aujourd’hui, les jeunes générations n’ont hélas aucune idée de la réalité du pouvoir communiste! La terreur, la peur, les écoutes, la torture, les filatures... Je me méfie toujours du téléphone. Et la vue d’un policier me fait trembler. La peur reste et restera pour toujours.»

De son combat contre le communisme à la sauce moscovite, Oxana a gardé une vraie défiance qui se manifeste chaque jour en suivant la guerre que «le criminel Vladimir Poutine conduit contre l’Ukraine»: «De fait, la Russie a conservé les mêmes pratiques de terroristes et d’envahisseurs que celles en vigueur en Union soviétique et dans les pays frères. Je me souviens du temps du Mur comme si c’était hier. Il ne faut jamais baisser la garde face à de tels régimes! Surtout ne pas oublier ce dont ils étaient capables!»


Les rêves des enfants, source d’inspiration

D’une bonne humeur communicative - «Je me dis toujours qu’il y a de plus grands malheurs ailleurs» - l’écrivaine, dont les livres sont illustrés par son fils Flavian, n’a heureusement pas que des souvenirs lourds à évoquer. «Tout a commencé par mes enfants. J’avais pris l’habitude de leur demander des thèmes d’histoire en les mettant au lit. Par exemple, ils me disaient lampe, et rose, et moi j’imaginais ensuite des aventures autour de ces deux propositions. J’ai de la fantaisie à revendre. C’est agréable de travailler d’après des rêves d’enfants. Autrefois, dans toutes les familles, il y avait de beaux livres pour susciter leur créativité, comme Les Contes d’Andersen. À présent, il y a un vrai déficit d’ouvrages éducatifs, et drôles et instructifs, qui leur sont consacrés.»


Des accents chantants

Émergeant de sa sieste dans un grand sourire, Alex, 82 ans, nous rejoint et salue avec son superbe accent chantant. «C’est joli, non? rigole Oxana. Nous posions la question à notre mère: "Comment sonnent pour toi les langues slaves, en occurrence le slovaque", elle répondait: "Pour moi, c’est tout du chinois!" À propos des accents, ça me fait penser à ce qu’on disait jadis des réfugiés hongrois: en 1956, ils ont tout perdu, sauf leur accent…»

Les deux époux ne tarissent pas d’éloges sur Crans-Montana. «Ici, on a l’air pur et le soleil, dit Alex. À deux minutes, en dessus de chez nous, on peut se promener sur le chemin des écureuils où ils sont des dizaines à venir réclamer à manger.» «En période de canicule, ajoute Oxana qu’est-ce qu’on est mieux sur ce Haut-Plateau qu’en plaine: ici, c’est le paradis sur terre!»


Les fleurs, un bien pour l’âme

Illustration choisie par Oxana: «La Commune a fait un grand effort, Crans-Montana est fleurie, mais il manque encore des fleurs aux balcons des privés. Pourquoi j’y apporte tant d’importance? On pose nos têtes fatiguées le soir sur les bacs fleuris, les pétales endormis qui nous bercent et l’on se réveille les yeux écarquillés dans les boutons qui explosent de beauté, senteurs et couleurs. Un bien, baume pour l’âme, plaisir pour les yeux et remède pour le cœur.»

Par Jean-François Fournier