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03.10.2022Relier Sierre à Crans-Montana n'a pas toujours été une sinécure

Il y a 130 ans, en février 1892, le premier client arrivait à dos de mulet à l’Hôtel du Parc. Il s’appelait Octavio da Silva. La construction de cet établissement marque les débuts du tourisme à Crans-Montana. À ce moment-là, on n’accédait sur le plateau que par des petits chemins; on montait à pied depuis Corin, ou à dos de mulet, les plus chanceux (ou fortunés) profitaient d’une chaise à porteurs. Relier Sierre à Crans-Montana n'a pas toujours été une sinécure.

 

 

Aux débuts du tourisme, l’ascension du coteau depuis Sierre durait quatre heures, environ. Pour la construction du premier hôtel, sable, ciment et autre matériaux ont été transportés à dos de mulet.

On imagine alors la vie quotidienne du facteur qui faisait ce parcours avec son mulet chargé de paquets! Le premier postier fut Pierre-Paul Cordonier. C’est Pascal Thurre qui nous en parle dans son livre Crans-Montana, un autre regard: «Il commençait par prendre le courrier de l’Hôtel du Parc puis s’arrêtait dans les villages de Montana, Randogne, Mollens, Venthône et Muraz. Il lui arrivait, lorsque les paquets étaient trop nombreux, d’avoir deux mulets à disposition et d’affronter la tempête de neige en tirant les deux bêtes par le mors.» La vie du facteur n’était pas sans danger: on dit qu’un soir, des renards affamés l’ont mordu aux mollets! Pierre-Paul Cordonier redoublait de prudence notamment en longeant le lac Moubra, car un de ses amis avait basculé dans les eaux glacées avec mulets et tout le bataclan!

 

Fiacres, diligences et charrettes

Les bâtisseurs de l’Hôtel du Parc ont vite compris que l’essor de leur hôtel dépendait d’un accès facilité: en 1896, ils construisent une route carrossable - à péage. À l'époque, la diligence et les fiacres étaient les moyens de locomotion les plus prisés; le parcours durait plusieurs heures, selon les caprices de la météo. On traversait  la Noble-Contrée pour se rendre jusqu’à Randogne, d’où on empruntait la route qui conduisait jusqu’à Montana.

Avec la fréquentation allant croissant, les diligences avaient de plus en plus de peine à assurer leur service. «La route était caillouteuse, plus pentue et surtout encombrée par quantité de charrois tirés par des attelages de chevaux ou des bœufs transportant les matériaux nécessaires à toutes ces constructions, raconte Gaston Maison, auteur de l'ouvrage "SMC 1911-1986" paru aux Imprimeries Corbaz SA à Montreux. La lenteur de ces charrois gênait considérablement les diligences, souvent en retard.» Et de préciser: «L'accès à ces diligences était réservé aux gens aisés. Les autres effectuaient leur montée à pied tout en mettant si possible - contre petite redevance - leurs bagages sur les charrois.»


 La diligence, en attente devant ce qui est aujourd’hui l’Hôtel de Ville de Sierre.

 

De nombreuses solutions pour simplifier le trajet entre plaine et montagne ont été imaginées au fil des ans: «En nous plongeant dans les archives, nous avons été surpris de trouver autant de projets aussi divers, allant du chemin de fer à voie étroite à celui à voie normale, du chemin de fer à adhérence à celui dit à crémaillère. Le tout sur des tracés totalement différents, parfois farfelus, bien au-delà de la simple liaison entre Sierre et Montana», constate Gaston Maison.

 

Le funiculaire comme une évidence

Les premières négociations pour relier plus commodément Sierre au Haut-Plateau remontent donc à la fin du XIXe siècle, avec cette question lancinante: comment remplacer la diligence par d'autres modes de transport adaptés à la topographie de la région et aux impératifs saisonniers? À l'évidence, le choix devait se porter sur un chemin de fer à voie étroite, à crémaillère et à traction vapeur ou électrique, en partance directement de la Gare de Sierre Jura-Simplon.

La demande de concession pour cette voie Sierre - Vermala (Montana n'y figurait pas) fut expédiée à Berne le 22 octobre 1899, accompagnée des plans du tracé à l'échelle 1/50'000e, du profil en long, du devis et du descriptif des travaux. Ce devis était fixé à 1'020'000 de francs dont 890'000 pour l'achat des terrains, la construction de la ligne, la pose de la voie et de l'alimentation. Trois automotrices et cinq wagons marchandises étaient également prévus. Ce devis était évidemment – et très largement – sous-estimé!

 

Des prix exorbitants

La concession fut accordée lors de la session du 13 juin 1900 des Chambres fédérales pour une durée de 80 ans. Il a toutefois fallu patienter jusqu'en 1911 pour l'inauguration officielle de la fameuse ligne de funiculaire encore en fonction aujourd'hui.

Cet avènement ne fit pas que des heureux… Les voitures à chevaux demandaient entre 25 et 30 francs par personne pour une course simple, voire davantage en hiver. Une somme colossale comparée aux salaires d'alors! Cela représentait en effet plus de la moitié d'une rémunération mensuelle d'un postillon. On comprend dès lors aisément que les cochers n'ont pas vu d'un bon œil la mise en service d'un concurrent sur crémaillère dont le prix était de 8 francs pour un aller-retour…

 

Une métamorphose totale

Quid de l'évolution du réseau routier? «Entre les sentiers pédestres de 1892 fréquentés par les chevaux, mulets et autres chaises à porteurs depuis Corin et les belles routes qui jalonnent aujourd'hui notre région, les commodités des voyageurs ont bien changé, souligne Pascal Rey, historien auteur de nombreux ouvrages sur la région. Mais cela s’est fait par étapes et très progressivement. On peut citer la construction de la route du Rawyl Granges – Lens – Icogne en 1898, celle entre Sierre et Montana via Randogne en 1913 et surtout celle de la route cantonale Granges – Ollon – Chermignon – Montana-Village qui s'est échelonnée entre 1929 et 1934.»

Retenons cette date encore: le 8 mai 1946. Ce jour-là circule le premier autobus reliant Sierre à Montana (en passant par Corin, Montana-Village, le Sanatorium valaisan et Crans). Un parcours long de 23,7 km. La concession – frappée du numéro 327 – autorisait trois courses aller-retour en semaine et cinq le dimanche. Rien à voir avec l’offre actuelle!


Par Blaise Craviolini


 

«En 1935, écrit Sylvie Doriot Galogaro, tous les acteurs de la station tentent de s’entendre pour répartir les frais de déblaiement de routes en hiver par le Comité d’Action d’ouverture de routes. À l’assemblée générale, sur 210 personnes convoquées, seules 22 sont présentes.» Lors de cette réunion, on débat de manière très animée de la répartition de frais entre les deux sociétés de développement, les communes, les propriétaires d’autos et camions. «Dix ans plus tard, on se chamaillera à propos de l’achat d’une fraiseuse qui permettrait l’ouverture des routes.» L’ouverture des routes n’a cessé d’être un problème, écrit Sylvie Doriot Galofaro, «chaque commune ne déblayant que ses limites communales».

La poussière est aussi un souci sur les routes qui nont pas pas encore goudronnées  cette époque-là. Cela n’a toutefois pas empêché, le 13 juillet 1933, d’organiser en station un rallye automobile (les voitures filaient à la vitesse de 20 km/h). Sylvie Doriot Galofaro cite un passage d’un procès-verbal de la Société de développement de Montana: «M. Haller ne comprend pas qu’on puisse organiser une course dans la station, alors que nous avons déjà tant de plaintes au sujet de la poussière. Il ne croit pas que ce soit une bonne réclame pour la station.»

Source: « Un siècle de tourisme à Crans-Montana »