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19.12.2022Sophie Biéler: «Crans-Montana doit s’ouvrir davantage à la rencontre et au partage»

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La fête de Noël approche et avec elle, la station se transforme en ville. De quoi complexifier la tâche de Sophie Biéler, la pasteure de la paroisse protestante. Dialogue avec une femme qui place l’humain au cœur de son engagement.

Sa rencontre avec Crans-Montana participe du plus grand des hasards. Une petite annonce et une pasteure qui cherche un emploi à plein temps. «Ça faisait des années que je travaillais à temps partiel dans des aumôneries de divers hôpitaux et institutions, et comme beaucoup de femmes qui ont eu des enfants, j’étais confrontée à une très mauvaise situation, vu la faiblesse de mes cotisations retraites. Je devais absolument, au moment où mes enfants quittaient la maison, corriger cet état de fait. C’est ainsi que je me suis retrouvée ici, sur le Haut Plateau, à faire l’expérience de la vie en station. Moi qui adore le ski et la marche en montagne, j’étais très bien servie…»

Personnage pas banal que Madame la pasteure. Cinquante-trois ans, deux enfants adoptés au Rwanda, divorcée, une carrière d’infirmière à domicile, puis en Afrique, études de théologie, pour pouvoir devenir aumônière. 

«Dans un milieu encore très traditionnel, je sais que mon profil peut heurter certain, reconnaît Sophie. Mais je ne serai jamais une femme qui se contente d’animer le temple de sa paroisse. Pour moi, l’essentiel du message de Jésus, c’est la rencontre, suivie du partage. Et ça, c’est une gageure!»


La grande solitude des temps moderne

La communauté du Haut Plateau serait-elle un zeste imperméable? «Il faut tout replacer dans son contexte, insiste Sophie Biéler. Dans le monde d’aujourd’hui, l’individualisme et l’égoïste font des ravages. Partout. Lors de certains cultes, il y a près d’une cinquantaine de personnes, paroissiens et personnes de passage, ce qui est très encourageant, mais à peine ce moment terminé, les gens s’égaient dans la nature, chacun rentre chez soi, et cette dimension du partage, qui est pourtant la colonne vertébrale de la chrétienté, s’estompe devant les habitudes de nos sociétés modernes. C’est le mal du siècle…»

Au point même de parler d’une vraie solitude du pasteur dans la maison de Dieu, si l’on en croit notre amie: «Pour porter efficacement sa Parole, il vaut mieux aujourd’hui pouvoir s’appuyer sur une famille et des amis solides, parce que nos semblables peinent - où que ce soit: ville, campagne, montagne - à ouvrir leurs portes et à accueillir leur prochain.»

«Le partage est une valeur qui souffre face à la modernité froide. Même entre les Églises d’ailleurs, puisque l’œcuménisme a beaucoup reculé au XXIe siècle, ce qui me chagrine. Ne doit-on pas s’accueillir dans nos différences, qui sont si petites en réalité?»


Infirmière du corps… et du cœur!

Cette passion de l’humain, notre servante de Jésus a eu la chance de la vivre au quotidien, comme infirmière à domicile: «Ici, les riches ne veulent pas que ça se sache, et les pauvres non plus. Chacun affronte seul sa propre réalité. Quand vous soignez des gens chez eux, en revanche, ils ne trichent jamais. D’autant moins que vous êtes souvent leur unique visiteur de la semaine ou même du mois. Alors, vous partagez vraiment leur vie le temps d’un soin. Moi, je m’arrêtais souvent, j’aimais les écouter. Et pas question de leur faire une quelconque morale! C’était d’ailleurs la même chose en aumônerie de prison. Vous n’êtes donc alors jamais très loin de Jésus.»

Lors de ses voyages, Sophie Biéler vivra les mêmes expériences:

«En Afrique, j’ai côtoyé des gens qui n’avaient absolument rien, mais qui n’avaient pas honte et vous offraient même tout ce qu’ils pouvaient. J’ai ressenti alors ce partage total et cette absence de jugement qui accompagnent toutes les rencontres de Jésus au fil de sa vie sur terre. J’ai l’impression avec le recul d’avoir été parfois à la fois infirmière du cœur que du corps.»


Des envies d’ailleurs

On sent que le voyage, l’itinérance, les rencontres au quotidien rapprochent davantage Sophie de son vécu d’aumônière que du modèle du pasteur qui règne sur ses ouailles du haut de sa chaire: «J’aime me confronter à l’humain au quotidien. De toute façon, nous sommes tous de passage, et en mission. Les rejetés, les pauvres, les malades, ceux qui ont besoin de retrouver un sens à leur vie, ou simplement d’être aidés: Jésus ne les a-t-il pas aimés plus que tout, après tout?»

Et c’est bien dans cette dimension, dans ce type d’engagement que Sophie excelle. «Il faut beaucoup d’humilité pour rencontre l’autre. Mais savoir aussi que même lorsqu’on va moins bien, on peut trouver du sens à sa vie. On peut même, et c’est le plus important, aider ces personnes fragilisées à aider à leur tour, et à tisser ainsi une vraie chaîne humaine. Je sais peu de choses, mais je sais que personne n’est inutile, et que quand on a un instant de grande faiblesse, on devrait toujours pouvoir se faire aider par autrui.» En ce sens, l’approche de son métier est peut-être plus sociale que théologique. «Je ne sais pas, sourit Madame le pasteur. C’est un ensemble, une interaction. Je ne cesserai jamais de le dire et de le redire: là où se trouve le faible, le malade, le pauvre ou l’oublié, là se trouve Jésus.»

De là à imaginer un changement d’orientation dans un futur proche, il y a un pas que Sophie semble prête à franchir: «Quand vous avez fait deux fois le tour du monde sac à dos, la solitude d’une paroisse laisse songeuse. On verra. Là, je vais accueillir nos visiteurs des fêtes et on verra bien la suite…» Une profonde respiration avant de conclure cet entretien: 

«J’aime cette belle région où le soleil est roi, ainsi que ses habitants, authentiques et fiers de leurs origines. Mais aujourd’hui, j’ai envie de dire très simplement: "Crans-Montana, tu dois t’ouvrir davantage à la rencontre et au partage!"»