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09.12.2022«Crans-Montana est un lieu profond où développer ses racines»

Youri Cansell alias Mantra

Le peintre Youri Cansell alias Mantra vient de poser ses valises sur le Haut Plateau où il se sent à l’aise pour créer et qui lui servira de base arrière dans sa conquête de la scène graffiti mondiale.

Vous le connaissez peut-être sans le connaître vraiment. Le peintre et street artiste Youri Cansell - Mantra de son nom de performer - est visible à même le mur dans quelque 130 endroits de Crans-Montana dont la désormais fameuse façade aux papillons du bâtiment communal. «Une réalisation fantastique», s’enthousiasme le président Nicolas Féraud, tout heureux d’annoncer que cet artiste de renommée mondiale a choisi sa commune comme port d’attache.

«J’ai découvert ces lieux lorsque Grégory Pages, le fondateur du Vision Art Festival, m’y a invité. Je me suis très vite senti à mon aise parmi des humains chaleureux et intéressants, en osmose avec la topographie de leur ville. Beaucoup partent en effet se réaliser ailleurs, mais tous reviennent comme attirés par leurs racines et la qualité du tissu social ici chez vous. Tout le monde se connaît et se respecte. Et puis, ces paysages si différents, de la plaine aux montagnes, ces allers et retours qui enrichissent au lieu d’appauvrir, ça m’a paru en outre tout à fait transposable à ma vie de voyages et de recommencements, mais aussi de quête de racines. Crans-Montana, je vous l’assure, est un de ces lieux profonds où l’on peut développer des racines solides.»


Né dans un décor urbain

Quand on lui demande de se définir, Mantra évoque très vite ses origines: «Je jongle avec les pigments; je suis donc un peintre, non? Mais surtout, je suis né en 1987 à Metz, en Moselle, en Lorraine. Et j’ai grandi d’abord en plein centre-ville entre la gendarmerie, l’hôpital et la manufacture de tabac, dans un environnement très urbain. Notre appartement donnait sur le rez, et les fenêtres qui donnaient sur le boulevard vrombissant étaient à barreaux. Ça vous pose un homme! Et ça le confronte très tôt à la culture graffiti.»

On est loin là des papillons. «Pas tant que ça, sourit l’artiste. On a fini par déménager. Oh pas très loin, à dix minutes du centre, mais c’était déjà clairement la campagne. Un paradis pour l’enfant hypercurieux que j’étais. J’ai découvert la nature, les oiseaux, les insectes, toutes choses qui sont aujourd’hui fondatrices de mes recherches.» Papillons, hiboux, araignées sont donc les complices de façades de ce créateur qui rêvait de devenir naturaliste. «L’art est extraordinaire, nous dit-il, puisque adulte, j’ai réussi à préserver l’enfant et son imaginaire. En effet, je travaille aussi sur le terrain avec de grands entomologistes, et des biologistes attachés à sauvegarder certains écosystèmes menacés. Tout mon temps libre hors peinture est consacré à cet engagement, que ce soit dans ma région d’origine ou dans des réserves en Équateur que je connais particulièrement bien.»


Quand le peintre devient explorateur

Recherches sur le terrain - notamment de ses chers papillons qu’il représente ainsi avec une précision 100% scientifique! - rime avec meilleure protection demain. 

«Tout ce qui est important dans mes découvertes, je le fais remonter aux grands spécialistes que j’ai le plaisir de fréquenter. Et ce type de chaîne d’information est capital pour la sauvegarde des écosystèmes.»

L’an prochain, et en 2024, Youri Cansell participera même à une grande expédition dans une forêt en Équateur avec l’ambition d’identifier de nouvelles espèces tant dans la faune que dans la flore. «C’est un honneur pour moi que de me retrouver avec des scientifiques de premier plan et de vivre ma passion à 100 % dans cette réserve de Jama-Coaque, côté Pacifique, qui m’est déjà familière. Les choses étant toujours perméables chez moi, je bénéficierai ensuite du processus rétroactif qui permet de transposer dans ma peinture ce vivant fascinant des forêts équatoriales.»


Mantra, invocation et engagement

Peintre, naturaliste, Mantra: autant de mots-clés pour comprendre notre interlocuteur. «Le premier, c’est mon job à 100% depuis plus d’une décennie. Le second, c’est mon rapport à l’enfance qui se mélange à mes engagements écologiques d’adulte. Le troisième, c’est un nom qui me vient du graffiti et de l’époque où l’on peignait d’abord des lettres. Avec le temps, il s’est chargé de sens. Sa répétition correspond à la répétition de ma volonté de sauvegarder les écosystèmes qui peuvent encore l’être.»

On est là exactement dans le sens profond du mot, cette formule sacrée qui sert de truchement au salut dans l’Hindouisme et le bouddhisme. Ou même dans l’étymologique sanskrite du terme, «man» ou penser, «tra» instrument. Autrement dit: mantra, l’instrument de pensée, un pseudonyme qui renvoie au talent du peintre.


Voyage, voyage…

«Mes fresques sont toujours réalistes, explique Mantra. Mais ce faisant, elles sont proches du vivant. Elles nous interrogent, nous placent face à nos responsabilités.» On pense ici à ses oiseaux aux couleurs de paradis à Bogotá, à cet oiseau magique de Gazi au Kenya, à son aigle de Seattle. Nature magnifiée. Planète protégée. Et ces murs, ces façades à qui il donne une âme.

«Tous ces voyages, de l’Amérique du Sud à l’Irlande, des capitales européennes à l’Océanie ou à l’Afrique, tout ça participe de ma réflexion, de mon engagement. Ils me sont nécessaires. Mais je sais qu’ici, sur ce Haut Plateau aux écosystèmes si divers, je vais aussi trouver les conditions indispensables à mon épanouissement d’artiste.»


Par Jean-François Fournier