header

26.02.2024Séisme du 25 janvier 1946: réplique de la peur, peur de la réplique

seisme 1946 rawyl eboulement combe andins

Si le séisme de 1946 est survenu le matin du 25 janvier, plus de 500 répliques ont été enregistrées durant cette année-là. De quoi entretenir le climat d'angoisse en Valais et tout particulièrement dans la région de Crans-Montana. Dans ce chapitre, l'historien Martin Bagnoud aborde le rôle de la presse, le monde de la religion et celui des scientifiques.


La plupart du temps, nous évoquons un seul tremblement de terre du 25 janvier 1946. En fait, il serait plus exact de parler d’événement sismique, tant les répliques ont été nombreuses et ont contribué à attiser les craintes de la population: 517 secousses secondaires ont été comptabilisées en Valais durant cette année-là, surtout entre les mois de janvier et juillet. 

Parfois, la terre tremble une dizaine de fois en une seule journée. La majorité des secousses est ressentie par la population valaisanne, bien qu'elles ne provoquent pas de dégâts. Seules deux secousses ont été suffisamment fortes pour occasionner des dommages: le 25 janvier et le 30 mai. Quand bien même, la terre n'en finit pas de trembler et, là encore, la population du Valais central est en première ligne.


La catastrophe s'étire dans le temps

La conséquence la plus manifeste de ces répliques est l’étirement de la catastrophe dans le temps. Les Valaisannes et Valaisans vivent dans l’angoisse des tremblements de terre, qui peuvent survenir à n’importe quel moment de la journée. La population est totalement impuissante face à un phénomène qui la pousse assez loin dans ses retranchements mentaux. Comment comprendre la persistance de l’événement? Et si la terre venait à ne jamais plus se calmer?

Peu de personnes disent s’être habituées aux secousses. La plupart d’entre elles avouent la peur qui les étreint lors de chaque réplique. Le paroxysme est atteint le 30 mai: quatre mois après le séisme de janvier, une réplique très violente se produit à 5 h 41 du matin. C'est à elle qu’on doit l'énorme éboulement du Rawilhorn et l'effondrement de la voûte de l'église de Chippis. Le lendemain, des centaines de curieux se rendent sur les hauteurs de Crans pour voir le nouveau visage des montagnes du Rawyl. La peur est encore bien présente, comme le raconte le Journal de Sierre: 

«Tous ceux qui étaient là pouvaient croire que la montagne fumait, et cela n'était pas pour les rassurer».

Conséquence inédite de cette situation, l'Union Valaisanne du Tourisme constate une baisse drastique du nombre de touristes suisses en Valais durant l'été (28 000 nuitées en moins pour les mois de juillet et d'août par rapport à 1945), alors qu'ils sont en augmentation dans les autres destinations touristiques du pays. Le comité directeur de l'association, dans son rapport de gestion paru en 1947, fait porter la responsabilité de cette baisse à la presse et les nouvelles «inconsidérées et exagérées» qu'elle a répandues. 

Encore aujourd'hui, après un tremblement de terre, les répliques sont un des éléments sismiques les plus difficiles à gérer: elles maintiennent le climat d'angoisse à son plus haut niveau et perturbent la mise en place des secours.


Rôle de la presse

Face aux craintes populaires, les autorités politiques et scientifiques adoptent un discours rationnel sur le séisme. Elles s'efforcent de le faire entrer dans un cadre connu, explicable et analysable. Les journaux jouent dans cette visée un rôle très important: ils sont en effet les principaux relais de communication entre le pouvoir et la population. C'est par eux que transitent les informations officielles. Le tremblement de terre fait aussi figure de scoop médiatique. Et rappelons que les gens ont besoin de comprendre ce qui leur est arrivé ! De très nombreux articles paraissent au sujet du tremblement de terre durant l’année 1946, en Valais mais également dans le reste de la Suisse.

La presse ne représente toutefois pas un bloc homogène et le prisme par lequel est raconté l'événement diffère en fonction des journaux. Le Nouvelliste, par exemple, développe un argumentaire moral et religieux qui fustige le rapport opportuniste qu'entretient la population avec la religion: 

«N'y aurait-il que la frayeur pour ramener les pensées vers Dieu!». 

Le Journal de Sierre, qui paraît dans le district le plus touché, se bat quant à lui pour qu'on accorde une aide financière aux victimes. Il argumente: la Suisse n'a cessé de «tendre sa main secourable vers tous ceux qui n'ont pas été épargnés» par la guerre. 

Aujourd'hui, «il s'agit aussi de penser à tous ceux qui, dans notre région, se sont vus délogés ou qui ont subi de lourdes pertes» à cause du tremblement de terre. 

Dans tous les journaux, les brèves se succèdent pour signaler telle ou telle réplique. Au fil des mois, des pressions se font sentir pour que le suivi de l'événement sismique prenne fin, de peur que l'image touristique du Valais ne soit définitivement écornée.


Exacerbation de la religiosité

La religiosité de la population semble augmenter dans les heures et les jours qui suivent la secousse principale. Les répliques accentuent encore le phénomène. Comment les expliquer, si ce n'est comme une épreuve à laquelle Dieu semble vouloir nous soumettre?

Le discours se durcit. Fléau voulu par Dieu et dont lui seul pour nous libérer, il ne s’agit plus de faire amende honorable, mais bien de prier pour en espérer la fin. L’image d'un Dieu vengeur et agressif est mobilisée. Un curé valaisan s'exclame dans son bulletin paroissial: «a flagello terraemotus, a peste, fame et bello, libera nos, Domine!» (du fléau des tremblements de terre, de la peste, de la famine et de la guerre, délivre-nous, Seigneur!). 

Le dimanche 16 juin 1946, peu après la réplique du 30 mai, l'autorité diocésaine ordonne une journée de prières et de pénitences pour obtenir de Dieu «la cessation du fléau du tremblement de terre». Des processions sont organisées, auxquelles participent les autorités politiques et la population. Elles ont lieu dans tout le Valais central, mais seule celle de Sion a été immortalisée par les photographies de Raymond Schmid. La mobilisation est très importante, puisque 2000 personnes y participent!

En raison de la crise qui s’éternise, certains curés vont encore plus loin. Celui de Saint-Léonard demande la fermeture de tous les cafés de son village pendant la journée du 16 juin, un geste qui «doit certainement être plus agréable à Dieu que la procession elle-même». 

Il s'agit d'un «sacrifice» afin qu'Il «nous épargne et cesse de nous maintenir dans l'angoisse de ces tremblements de terre». 

Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces injonctions matérialisaient la recherche de sens d'une population éprouvée par le tremblement de terre et ses répliques. Il faudra la combinaison d'un événement naturel qui n’en finit plus et d'un discours religieux qui se radicalise pour qu'elles se réalisent et affirment toutes leurs capacités mobilisatrices.


Le monde scientifique

La Suisse possède une solide tradition sismologique: le pays est précurseur dans le domaine de la surveillance des séismes. De nombreuses innovations techniques dans les sismographes sont à mettre au crédit des scientifiques suisses. Alors, quand survient le séisme, beaucoup d'entre eux se rendent en Valais afin de recueillir des données de première main. 

À l’instar du discours religieux, le discours scientifique s’efforce de répandre une certaine vision du séisme. Il le relègue dans le domaine du rationnel: il s'agit d'un phénomène naturel et explicable. Les experts – qui interviennent fréquemment dans la presse valaisanne – jugent avec sévérité et condescendance l'affolement de la population, qu'ils qualifient d'archaïque. 

Derrière ces discours se cache la foi dans le progrès techniqu : on croit qu’à terme, on arrivera à maîtriser ces phénomènes naturels qui ne seront plus qu'un mauvais souvenir du passé. Cette lecture scientifique, portée par La Murithienne – la société valaisanne des sciences naturelles – rencontre un vif succès en Valais: les conférences publiques organisées sur la thématique sont très suivies.

Par Martin Bagnoud


Sources:

Wanner, Ernest, Grütter, Max, « Étude sur les répliques du tremblement de terre en Valais, de 1946 à 1950 », Bulletin de La Murithienne, n° 67, 1 950.

Lettre du révérend curé aux cafetiers de Saint-Léonard et d'Uvrier, 12.06.1946, CH AEV, AP Saint-Léonard, 25.

Bulletins paroissiaux de Savièse - 1929-1958 - réédition, Fondation Bretz-Héritier, Éditions de la Chervignine, Savièse, 1998, pp. 225-227.

Rapport de gestion 1946, Union valaisanne du tourisme.

Journal de Sierre, 4 juin 1946

Journal de Sierre, 26 février 1946


L'exposition «Tremblements de peur» est à voir du 20 février au 24 avril 2024 à la Bibliothèque de Crans-Montana. Elle sera ensuite visible à l'EMS Le Christ-Roi (en juin), dans les jardins d'Ycoor (juillet-août) et au Centre scolaire de Crans-Montana à la rentrée. Les articles de Martin Bagnoud font l'objet d'une publication gratuite disponible à la Bibliothèque.