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12.02.2024Séisme du 25 janvier 1946: importants dégâts et bataille de chiffres

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Suite de notre série «Tremblements de peur», consacrée au séisme de 1946. On aborde la thématique sous l'angle de l'ampleur de la catastrophe qu'il a fallu chiffrer. De nombreux édifices religieux ont été touchés, c'est le cas de la chapelle de Crételles qu'il a fallu interdire d'accès et reconstruire, ou encore l'église de Chippis (photo) qui a été fortement endommagée.

La confusion la plus totale règne en Valais après le tremblement de terre. Personne ne connaît l’ampleur de la catastrophe. Des rumeurs se mettent à circuler, exagérant parfois fortement les conséquences du séisme (comme cet ingénieur de Montana qui affirme que le phénomène n'a pas laissé indemne une seule habitation de la région). Le 4 février 1946, dix jours après le tremblement de terre, le conseil communal de Montana et son président, Fabien Rey, ordonnent une enquête de la Police du Feu afin de rendre compte de l'étendue de la situation dans la commune. Il faut attendre deux mois pour que le Canton se décide - sous la pression populaire - à faire de même.


Connaître l’ampleur de la catastrophe

Le Conseil d’État met sur pied, en mars 1946, une Commission chargée de venir en aide aux sinistrés. À sa demande, toutes les localités qui ont été touchées par le séisme doivent mandater des experts – la plupart du temps des entrepreneurs et architectes de la région – afin de quantifier les dommages aux bâtiments privés et publics. Une vérification est ensuite faite par la Commission de secours. C’est un travail gigantesque pour un organe composé de sept personnes qui travaillent bénévolement, sans plan de secours prévu. Il faut examiner les cas un par un, en supprimant les dégâts qui paraissent ne pas découler du séisme. En ce temps-là, la crainte est réelle de donner à celles et ceux qui ne le méritent pas. Signe de la méfiance qui règne chez les autorités cantonales, le montant total des dommages retenus (environ cinq millions de francs) est bien inférieur à celui annoncé par les communes. Le cas de Randogne est éloquent : seuls 39 300 francs de dégâts sont retenus sur les 274 630 francs transmis par la commune! Le Canton dit se méfier «terriblement des autorités communales» : certaines localités sont accusées à demi-mot de gonfler leurs chiffres. Quand bien même, le tableau dressé par la Commission est sans précédent dans l'histoire récente du canton :

Communes

Dégâts privés

Nombre de cas

Sierre

667 809 CHF

200

Sion

431 870 CHF

129

Montana

213 290 CHF

77

Ayent

184 250 CHF

162

Chippis

154 650 CHF

36

Chermignon

132 500 CHF

52

Randogne

39 300 CHF

52

Mollens

24 730 CHF

26

Lens

12 605 CHF

6

Icogne

6 790 CHF

3

Total

2'776'130 CHF

1497

 

Le montant total des dégâts privés avoisine les 3 millions de francs, une somme très importante pour l'époque. Mille cinq cents propriétaires sont considérés comme sinistrés ; huit communes du Valais central concentrent plus de 70 % des dégâts, mais c’est l'ensemble du canton qui a été frappé par le tremblement de terre avec près de 3500 bâtiments touchés de Brigue à Vouvry. Rarement un phénomène naturel n'a eu une telle dimension collective au sein de nos frontières cantonales. Heureusement, assez peu d'habitations sont rendues inhabitables (à Sierre par exemple, neuf maisons menacent de s'écrouler et vingt-deux sont fortement atteintes). Ce sont surtout les ornements qui paient le prix du phénomène : on ne compte plus les cheminées détruites (plus de 400 pour la seule ville de Sierre) et les façades partiellement effondrées. De nombreux balcons et toitures font les frais des secousses. À cela s'ajoute l'endommagement de tout le mobilier intérieur : vaisselle cassée, bris de miroirs, meubles disloqués…


Dans la région de Crans-Montana

Montana fait partie des communes les plus touchées par le séisme, du fait de sa proximité avec l’épicentre. L’examen détaillé du rapport communal révèle que la station a davantage souffert que les villages du coteau (Montana-Village, Diogne, Corin et Champzabé), puisqu'elle concentre près de 80 % des dégâts. Les grands édifices en béton qui s’y trouvent résistent moins bien que les habitations en bois des villages. Les trois bâtiments ayant subi le plus de dégâts sont la clinique la Moubra (actuellement l'International Summer Camp), l'hôtel Valaisia et surtout la clinique militaire (l'ancienne Maison Général-Guisan).

Ailleurs dans la région, Chermignon a été également très impacté, et les dégâts s’y montent à 130 000 francs, bien plus que dans les communes voisines de Randogne, Lens, Icogne et Mollens.


Les édifices publics et religieux

Sur les 5 millions de francs de dégâts, 2,5 millions concernent les bâtiments publics et religieux du canton. En particulier, les églises sont frappées de plein fouet par le séisme. Celles de Randogne, Chippis, Montana-Village, Chalais, Sierre, Sion, Grimentz, Icogne, Vissoie et même Aigle et Bex signalent de plus ou moins gros dommages.

Quelques jours après le séisme, le curé de Montana-Village fait le point: il signale des fissures dans la voûte et les murs de son église, quatre vitraux touchés, deux tuyaux de l’orgue arrachés et surtout deux grosses pierres du clocher qui sont tombées. En 1947, un examen de l’édifice préconise la démolition et la reconstruction de la flèche de l’église. La chapelle d’Icogne subit de graves dommages, au point de devoir reconstruire l’édifice (la nouvelle chapelle est consacrée en juillet 1950). Mais c’est l’ancienne chapelle de Crételles à Randogne qui symbolise la violence du tremblement de terre. L’édifice est si touché qu’il menace de s’effondrer. Son utilisation et ses abords sont immédiatement interdits d'accès. La nouvelle est rude pour les habitants du village, qui perdent leur lieu de culte. Le 11 août 1946, la fête patronale qui célèbre Notre-Dame des Neiges se déroule à l'extérieur, comme toutes celles qui suivront durant sept ans. En effet, malgré une intense mobilisation populaire, il faut attendre 1953 pour que soit consacrée le nouvel édifice sur le site de l'ancienne chapelle.


Impacts sur le paysage

Les tremblements de terre impactent fortement les paysages qu’ils frappent: glissements de terrain, éboulements, avalanches, fissures dans le sol et apparition de nouvelles sources sont légion dans les zones touchées. Ces conséquences induites sont très nombreuses en Valais. Dans notre région, on signale un glissement de terrain de 500 mètres de large sur 200 de long dans la vallée de la Lienne, vers 1250 mètres d'altitude. Le débit de la rivière augmente d'ailleurs sensiblement.

Un autre glissement de terrain se produit entre Saint-Léonard et Lens, emportant avec lui deux pylônes électriques. Aux abords de la Raspille, les secousses provoquent l'éboulement de pyramides de rochers, recouvrant de nombreuses vignes. Mais la conséquence du tremblement de terre la plus manifeste est l'effondrement, dans la Combe des Andins le 30 mai 1946 lors de la réplique de l’Ascension, de 4 à 5 millions de mètres cubes de roches qui se détachent de l'arête et remplissent le pittoresque lac de Luchet, situé en contrebas. Aujourd'hui, la commune d'Ayent cherche à exploiter les grandes réserves d’eau qui sont dissimulées sous le pierrier.

Par Martin Bagnoud


Sources

CH AEV, AC Montana, 2014/21, 9.7.2.

Organisation des secours 1946, CH AEV, 8.9.2/1, 2011-1.

Mariétan, Ignace, « Le tremblement de terre du 25 janvier 1946 », Bulletin de la Murithienne, n° 63, 1946.

L'exposition «Tremblements de peur» est à voir du 20 février au 24 avril 2024 à la Bibliothèque de Crans-Montana. Elle sera ensuite visible à l'EMS Le Christ-Roi (en juin), dans les jardins d'Ycoor (juillet-août) et au Centre scolaire de Crans-Montana à la rentrée. Les articles de Martin Bagnoud font l'objet d'une publication gratuite disponible à la Bibliothèque.